Aller au contenu

Intelligence Artificielle : une cartographe à la recherche de la biodiversité !

Des écosystèmes perturbés, des océans de plus en plus acides, des ressources de moins en moins disponibles, des chemins de migration altérés, des habitats détruits… Le changement climatique touche l’ensemble des espèces vivantes sur Terre, tant au sein du règne animal que du végétal. De moins en moins d’oiseaux qui gazouillent dans nos campagnes, des coraux qui blanchissent et meurent peu à peu au fil des ans, des ours blancs de plus en plus à l’étroit sur une banquise qui continue de se réduire… Face à l’accumulation des preuves de la chute de la biodiversité, les pressions anthropiques ne peuvent plus se cacher : les pollutions des milieux, la surexploitation des ressources naturelles (y compris des organismes vivants !), les multiples changements d’usage des terres et de la mer (urbanisation, agriculture, etc.), la présence d’espèces exotiques envahissantes et bien évidemment le changement climatique !

A quoi sert la biodiversité ? Face à ces menaces, comment la préserver et la protéger ? Des questions qui sont au cœur de nombreux projets de recherche, y compris ici même à Poitiers ! Focus sur des approches développées localement, notamment par l’intermédiaire d’une alliée de poids : l’Intelligence Artificielle !

En thèse au laboratoire EBI à Poitiers, j’étudie les réseaux écologiques actuels et anciens à l’aide d’outils et méthodes de Sciences de l’Information Géographique et de Génétique du paysage. Ces approches permettent de mieux orienter l’aménagement des territoires pour la biodiversité dans les politiques de développement durable.

elie.morin@univ-poitiers.fr

La biodiversité : une notion centrale aux enjeux cruciaux

Déjà, de quoi parle-t-on ? La biodiversité désigne la variété des formes de vie (bactéries, plantes, animaux… tout !) dans un milieu. Elle y regroupe ainsi l’ensemble des êtres vivants présents dans un milieu, soit véritablement le tissu vivant de notre planète ! Et cette notion inclut également l’ensemble des interactions des espèces entre elles et avec leur milieu. Même si la biodiversité est aussi vieille que la Vie elle-même sur Terre, cette notion ne s’est imposée qu’au cours des années 1980, notamment grâce à l’essor d’un nouveau champ d’étude alliant science et gestion : la biologie de la conservation1.

La question de la biodiversité constitue un enjeu majeur pour l’Humanité : depuis le Sommet de la Terre organisé à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992, elle est considérée comme étant une « préoccupation commune de l’Humanité2 » ! Mais pourquoi est-ce si important de la préserver, de la protéger, cette biodiversité ? Car au-delà de son importance symbolique à travers certaines espèces emblématiques (le panda bien entendu, ou encore les rhinocéros, ou autres  lions peuplant la savane…), celle-ci s’avère particulièrement utile non seulement au maintien des écosystèmes, mais aussi directement pour l’Homme3,4 ! L’exemple le plus connu demeurant celui des pollinisateurs, sans qui fruits et légumes ne pourraient être cultivés et consommés… Mais il en va de même pour les organismes permettant le renouvellement des sols, étant d’une importance primordiale pour l’agriculture ! Que dire du rôle des prairies inondables, dont les plantes présentes permettent non seulement de diminuer l’impact des inondations en absorbant l’eau mais aussi de libérer cette eau en période estivale. La biodiversité joue un rôle majeur y compris en médecine, puisqu’elle constitue une ressource extraordinaire pour le développement de nouveaux médicaments ! Cette liste (non-exhaustive) ne fait qu’illustrer les bénéfices de la biodiversité pour l’Humanité, on parle d’ailleurs de services écosystémiques. Un dernier élément à prendre en compte : si la biodiversité est menacée (entre autres) par le changement climatique, elle constitue également une formidable ressource pour nous permettre de nous adapter à ce dernier5,6 ! La diversité biologique peut ainsi réduire les conséquences du changement climatique en augmentant la résilience des écosystèmes humains et naturels aux perturbations à venir. La protéger et la préserver, c’est s’assurer de maintenir les services que la Nature nous assure !

Le Clain et ses bords de rive… Un exemple de réservoir de biodiversité, abritant de nombreuses espèces différentes ! Une photo réalisée au niveau du Chemin de la Varenne (©Vagasciences)

Comment protéger la biodiversité ? A chacun son réseau…

En plus d’être menacée par le changement climatique, la biodiversité représente un véritable atout pour nous permettre de nous y adapter. Cependant, comment la protéger et la préserver ? Une des approches développée par le laboratoire Écologie et Biologie des Interactions (EBI) de l’Université de Poitiers consiste à identifier et étudier les connexions reliant les écosystèmes entre eux ! La stratégie retenue ici vise d’une part à identifier des zones jouant le rôle de réservoir de biodiversité (zones riches en espèces d’intérêt, végétales et animales), et d’autre part à déterminer les couloirs d’échange (on parle de corridor biologique) entre ces réservoirs. A titre d’exemple, si plusieurs zones forestières peuvent constituer des réservoirs de biodiversité, les haies présentes aux alentours de ces forêts peuvent jouer le rôle de corridor, permettant aux espèces de se déplacer d’une zone forestière à l’autre, assurant ainsi un rôle de connexion entre ces forêts !

Si un réservoir biologique est dépourvu de connexion avec d’autres, alors son maintien risque d’être fortement compromis… En effet, si le milieu abritant un réservoir subit une sécheresse, alors il est probable que les ressources (nourriture, eau) viennent peu à peu à manquer pour les espèces présentes… Ces espèces, ne pouvant migrer vers un autre réservoir, seront alors isolées et sujettes à un fort risque de disparition. Autre fait important, les espèces présentes dans un réservoir isolé risquent d’être exposées à une explosion de la consanguinité (le fait que des individus génétiquement proches les uns des autres se reproduisent entre eux)… Une consanguinité qui s’accompagne de risques de malformation, de diminution de l’espérance de vie (voire de décès)7,8

Ainsi, la stratégie adoptée par le laboratoire EBI s’articule autour de la Trame Verte et Bleue, un outil adopté par le Grenelle de l’environnement en 2007. L’objectif de cette Trame est d’enrayer la perte de biodiversité et de reconstituer les réseaux écologiques à l’échelle nationale. L’idée est donc d’identifier les réservoirs biologiques, et de conserver/dessiner des corridors connectant ces réservoirs entre eux ! Identifier les réseaux écologiques pour les préserver, c‘est donc un moyen de rendre les écosystèmes plus résilients, et ainsi augmenter les chances de préserver la biodiversité qui nous entoure.

(©Ayala Loisel)

De la photographie à l’intelligence artificielle : l’écologie à l’ère du 2.0 !

Comment s’y prendre pour identifier les connexions entre les écosystèmes ? La méthode développée à Poitiers se base sur des photographies aériennes afin de déterminer les propriétés naturelles des objets photographiés… C’est un peu comme être capable de différencier un buisson d’un arbre à partir d’une photographie prise du ciel ! Une véritable technique de détection à distance, aussi appelée télédétection. L’idée est donc de réaliser une véritable cartographie écologique à partir d’images aériennes !

Si le principe semble plutôt simple à comprendre, son application est quant à elle un peu plus complexe… Car justement, comment faire la différence entre un arbre et une pelouse à partir d’une photographie aérienne ? C’est là qu’un autre atout intervient : l’intelligence artificielle ! A partir d’images des villes de Châtellerault, de Niort et de Poitiers, il est possible d’entraîner un algorithme afin qu’il puisse peu à peu reconnaître de lui-même si une tache verte est un arbre, plutôt qu’une pelouse… On parle d’une approche d’apprentissage appelée machine learning(traduit par apprentissage automatique en français). Ainsi, les images vont d’abord subir un prétraitement facilitant les capacités d’apprentissage de l’IA. L’image va ensuite être découpée par petits blocs afin de délimiter des objets bien identifiés (typiquement : une pelouse, ou encore un bosquet d’arbres). Suite à ces premières étapes, c’est là que l’IA entre en jeu ! Le spécialiste va ensuite montrer à l’algorithme quelques bloc (ou segments) de végétation herbacée, puis quelques blocs de végétation arborée et quelques blocs de surfaces artificielles pour que l’IA apprenne à reconnaitre ces trois catégories. A partir de ces exemples, c’est à l’IA de jouer et de poursuivre l’identification des blocs ! Une IA sous la supervision d’un spécialiste, ce dernier servant de guide à l’apprentissage de cette dernière… C’est ainsi que l’algorithme va peu à peu apprendre à reconnaître les différentes zones, devenant ainsi de plus en plus performant et efficace !

Voici un exemple des différentes cartographies réalisées pour les villes de Poitiers, de Châtellerault et de Niort. L’image (a) correspond à un zoom d’une partie de Poitiers affiché avec de fausses couleurs, servant à entrainer l’IA. L’image (b) représente la cartographie brute de la même zone de Poitiers. L’image (c) indique les zones herbacées qui ont pu être télédétectées, tandis que l’image (d) différencie grâce à l’IA les végétations arborées et herbacées. (©Elie Morin)

Et pour la suite ?

Grâce à notre IA surentraînée, il devient alors possible d’estimer si oui ou non, des organismes peuvent communiquer et se déplacer d’une zone à l’autre… Et donc de savoir si le réseau écologique peut s’avérer fonctionnel ou non ! A partir de ces nouvelles données, il est possible de donner des valeurs de « résistance » du paysage à chaque structure paysagère. Ces valeurs caractérisent la difficulté de mouvement des individus (voire la mortalité) à traverser chaque élément allant du plus favorable (une forêt pour une espèce forestière) au plus défavorable (une autoroute). Et à partir des corridors identifiés, de savoir si oui ou non les espèces peuvent les emprunter pour se déplacer et naviguer d’une zone à l’autre…

L’ensemble de ces nouvelles informations, au-delà de produire des cartes d’occupation des sols d’une précision redoutable (de l’ordre de 50 cm), vont permettre de mieux prendre en compte les enjeux écologiques à l’échelle locale : savoir où sont les réservoirs de biodiversité en milieu urbain (bord de rivière, parc, jardins arborés, etc.), mais aussi quels sont les éléments du paysage urbains servant de pont entre les différents réservoirs (des arbres, un réseau de haies, etc.) afin de les préserver, voire de les compléter dans le but de protéger et pérenniser la biodiversité au sein des aires urbaines ! Et mieux encore, de tels outils peuvent servir de guide pour l’aménagement du territoire en testant différent scénarii d’urbanisation, en estimant leur impact potentiel sur la biodiversité… En bref, un véritable outil de prédiction pour l’aménagement du territoire ! Un enjeu majeur vis-à-vis des défis que représente de changement climatique pour tous…

Références bibliographiques
  1. Lévêque, C. & Mounolou, J.-C. Biodiversité-2e éd.: Dynamique biologique et conservation. (Dunod, 2008).
  2. Maljean-Dubois, S. La Convention de Rio sur la diversité biologique. in La diversité dans la gouvernance internationale. Perspectives culturelles, écologiques et juridiques, (2016).
  3. Groombridge, B. Global biodiversity: status of the earth’s living resources: a report. (1992).
  4. Reaka-Kudla, M. L., Wilson, D. E. & Wilson, E. O. Biodiversity II: understanding and protecting our biological resources. (Joseph Henry Press, 1996).
  5. Diversity, S. of the C. on B. Review of the Literature on the Links Between Biodiversity and Climate Change: Impacts, adaptation, and mitigation. (2009).
  6. Turner, W. R., Oppenheimer, M. & Wilcove, D. S. A force to fight global warming. Nature 462, 278–279 (2009).
  7. Keyghobadi, N. The genetic implications of habitat fragmentation for animalsThis review is one of a series dealing with some aspects of the impact of habitat fragmentation on animals and plants. This series is one of several virtual symposia focussing on ecological topics that will be published in the Journal from time to time. Can. J. Zool. 85, 1049–1064 (2007).
  8. Frankham, R. Genetic rescue of small inbred populations: meta-analysis reveals large and consistent benefits of gene flow. Mol. Ecol. 24, 2610–2618 (2015).