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Gestion des déchets : faisons un peu le tri dans nos têtes…

Occupant une part de plus en plus importante tant à l’échelle mondiale que locale, le changement climatique s’impose à nos yeux jour après jour. Sa principale cause est bien connue : la production de gaz à effets de serre (les fameux GES). Limiter la production de ces gaz, c’est ainsi limiter les conséquences et l’impact du changement climatique sur nos vies ! Une question légitime se pose alors : comment changer nos pratiques pour aller en ce sens ? Un des leviers existant sur lequel toutes et tous pouvons agir est celui de la production de nos déchets, associé bien évidemment à leur devenir… La gestion des déchets a des impacts significatifs non seulement sur l’environnement, mais aussi sur l’économie et donc plus globalement sur notre société toute entière. Dans notre poubelle, près d’un tiers des déchets est constitué de biodéchets : il s’agir là de restes alimentaires, de déchets verts… Des déchets composés en majeure partie d’eau, qui lorsqu’ils ne sont pas triés, finissent le plus souvent incinérés. Oui, gérer ces déchets non triés équivaut actuellement à brûler de l’eau !

Alors que leur tri va devenir obligatoire partir de 2024, comment expliquer que certaines personnes séparent leur biodéchets et d’autres pas ? Comment orienter nos comportements afin de favoriser leur tri ? Quelles sont les mécanismes psychologiques à l’origine de nos changements de pratique ? Des questions qui sont au cœur de nombreux projets de recherche, y compris ici même à Poitiers ! Focus sur des approches développées localement, notamment à travers une approche qui nous touche toutes et tous : celle de la psychologie sociale !

Suite à une reprise d’étude en psychologie en 2013, je conduis une thèse depuis 3 ans en psychologie sociale appliquée à la prévention dans le domaine de l’environnement.

Ce travail de recherche est financé par et mené en collaboration avec le service déchets Économie Circulaire de Grand Poitiers et notre objectif est de comprendre le comportement de tri pour concevoir des actions de prévention efficaces. Cette démarche d’ingénierie psychosociale se déroule en plusieurs étapes. Un premier travail d’enquête de terrain permet de comprendre précisément ce qui freine et/ou encourage le tri sur notre territoire. Dans un deuxième temps, les facteurs identifiés comme leviers sont mis en œuvre et testés expérimentalement comme outils de changement. Enfin, ces outils sont mis en place au sein d’interventions sur le terrain qui font l’objet d’une évaluation. Cette recherche-action permet ainsi d’alimenter les connaissances théoriques sur le comportement de tri mais également de développer une méthodologie robuste et adaptée au terrain.

emilie.guichard@univ-poitiers.fr

Mieux gérer nos biodéchets, un enjeu climatique fort à notre portée

Lorsque l’on parle de biodéchets, il s’agit là de déchets organiques issus de ressources naturelles d’origine végétale et/ou animale. Une définition précisée par la Loi (code de l’environnement) comme étant des déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, des déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, des cantines1Qu’il s’agisse de tonte de pelouse, d’épluchures de pomme de terre ou encore de yaourts périmés, tous ces produits font partie de ce que l’on appelle les biodéchets !

Et ils sont loin d’être négligeables… Puisqu’à l’échelle de la France, ils représentent près de 18 millions de tonnes de déchets produits par an (d’après l’Agence de la transition écologique, ou ADEME), c’est-à-dire 18 000 000 000 kg, ou encore 18 milliards de kilos !

Plus spécifiquement,  les restes alimentaires, issus de la cuisine, des repas et des produits périmés constituent environ 30% du poids de nos poubelles…

Exemple de biodéchets présents dans un compost : on y retrouve des déchets de cuisine, de la tonte de pelouse, des branches coupées, etc. (©Vagasciences)

Ces déchets, lorsqu’ils ne sont pas triés, sont soit enfouis, soit incinérés. Sachant que ces déchets sont composés de 60 à 90% d’eau, cela veut dire que l’on en revient à brûler… de l’eau ! Quelque chose qui apparaît plutôt comme étant contrintuitif, puisqu’en général on utilise de l’eau pour éteindre le feu, et non pas le feu pour faire disparaitre l’eau ! Et lorsqu’ils sont enfouis et mélangés à d’autres types de déchets, on estime que jusqu’à 95% des biodéchets sont convertis en dioxyde de carbone (le gaz à effet de serre le plus connu : le CO2) ou encore en méthane (un gaz à effet de serre 25 fois plus efficace que le CO2, qui a pour formule CH4)2. Ceci ayant des conséquences bien entendu désastreuses sur le changement climatique… Sans compter les éventuels risques de pollution des nappes phréatiques, ou ne serait-ce que les odeurs nauséabondes…

Quels leviers d’action pour limiter l’impact de ces biodéchets ?

Une première solution évidente pour limiter l’impact des restes alimentaires, c’est bien évidemment de limiter le gaspillage et ainsi leur production! Jusque-là, rien de bien sorcier… Une autre façon de diminuer leur impact, c’est de les trier afin qu’ils n’atterrissent non pas dans la poubelle normale, mais bien dans un compost ou un méthaniseur ! Une solution qui aurait en plus de multiples vertus : utiliser du compost (dans son jardin, dans son champ, etc.) permet d’augmenter la teneur en carbone stockée dans les sols et ainsi d’améliorer la qualité du sol ainsi que son potentiel de rétention d’eau3, de réduire par conséquent l’utilisation d’engrais (et donc de diminuer la production de gaz à effet de serre issus de la production de ces mêmes engrais), de séquestrer des quantités importantes de carbone atmosphérique et donc à atténuer les changements climatiques, par un retour à la terre d’une biomasse qui a absorbé du CO2 lors de sa croissance et l’a stocké… Un véritable cercle vertueux aux conséquences bénéfiques multiples !

L’idée globale est donc de soit limiter la production des biodéchets, soit pouvoir les valoriser, notamment en restituant la matière organique directement dans le sol. Des leviers qui sont donc à notre portée à tous pour agir… Mais justement, qu’est-ce qui peut nous permettre de nous mobiliser pour agir ?

(©Ayala Loisel)

Lorsqu’il est question de changer nos habitudes… Les apports de la psychologie sociale !

Si nous sommes les premiers acteurs à pouvoir agir sur le devenir de ces biodéchets, quels sont les comportements qui sont à l’origine de nos changements de pratique ? Car pour concevoir des stratégies de promotion du tri de ces biodéchets, il apparaît nécessaire de comprendre quels facteurs sont déterminants à l’échelle individuelle. Le tri de ces restes alimentaires sera d’ailleurs obligatoire à partir de 2024, et qui dit nouvelle consigne dit aussi nouveaux gestes à adopter. Dans cette optique, il apparaît donc nécessaire de comprendre quels mécanismes psychologiques sont à l’origine de l’adoption d’un nouveau comportement !

Une telle approche appartient au champ de recherche de la psychologie sociale. Cette branche de recherche de la psychologie vise à comprendre comment notre cognition (qui comprend la mémoire, le langage, la compréhension, la prise de décision, la perception…), nos émotions et nos comportements dérivent de nos échanges sociaux, les façonnent et s’y inscrivent4. En d’autres termes, ces approches visent à décrire les interactions entre tous les aspects psychologiques qui nous habitent et nos interactions tant avec notre environnement physique que social ! Si l’écologie est la science des interactions (des êtres vivants entre eux et avec leur milieu), la psychologie sociale est en quelque sorte l’approche écologique de la psychologie ! L’intérêt central de cette approche scientifique est de permettre la mise en place d’actions publiques basées sur la compréhension des différents publics ciblés. Une méthodologie au plus proche de chacun de nous !

Ici est présenté l’exemple d’un résultat d’enquête concernant les habitudes actuelles des gens vis-à-vis du tri (A), et l’intention de ces mêmes personnes face au tri des biodéchets (B). L’objectif est que nos intentions deviennent nos habitudes ! Et donc de savoir comment tendre vers un accord entre nos habitudes et nos intentions… (©Émilie Guichard)

Pour comprendre sur quels aspects psychologiques se base l’acceptabilité sociale de ces nouvelles mesures de tri, l’Université de Poitiers et Grand Poitiers ont collaboré sur une enquête auprès du grand public (sous la forme d’un questionnaire). Une première étape de diagnostic permettant de mieux comprendre nos comportements de tri ou de non tri des biodéchets a permis de mettre en avant un premier facteur essentiel : la norme personnelle. Il s’agit là de l’obligation morale que l’on ressent vis-à-vis d’un comportement (le fait de trier les déchets) considéré comme responsable ou juste. Plus on se sent moralement obligé de trier les déchets, plus il y a de chances que l’on souhaite réellement le faire ! Un second facteur majeur à être ressorti de cette enquête touche à notre sentiment d’être capable ou non d’effectuer ce tri. Plus on se sent capable d’effectuer ce tri, plus on a l’intention de le faire ! Cette capacité peut être d’ailleurs purement technique (« je sais où et comment stocker mes biodéchets », ou encore plus simplement « j’ai le matériel pour pouvoir stocker mes biodéchets ») ou au contraire bien plus émotionnelle (« je suis satisfait de trier mes biodéchets » ou alors à l’inverse « Beurk ! Ces déchets puent, et je ne souhaite pas les stocker »).

Et pour après ?

L’idée est donc de mettre l’accent sur l’amélioration des conditions les plus favorables pour réaliser ce tri des biodéchets ! Sachant que toutes les conditions n’ont pas la même portée ni la même influence sur nos comportements… Renforcer le sentiment d’obligation morale semble être un bon levier pour augmenter notre intention de trier les biodéchets, il s’agit en revanche d’un levier qu’il est plus difficile de solliciter rapidement : il est nécessaire d’avoir conscience du problème donné (ici, la surproduction de déchets et ses conséquences), de percevoir l’utilité du nouveau comportement à adopter (trier ses déchets est utile et efficace)… Des critères qui dépendent de nos valeurs à tous, de notre niveau d’information et bien entendu qui dépendent des influences issues de notre environnement social.

Renforcer notre sentiment de capacité à trier semble être un levier d’action plus rapide dans son application : mise à disposition de matériel et/ou d’espace permettant de trier les biodéchets (bio-seaux, composteurs individuels ou collectifs), mise à disposition d’une information claire et simplifiée concernant la démarche de tri, etc. Car après tout lorsqu’une nouvelle action est à adopter, il est toujours plus motivant de la réaliser lorsque celle-ci est non seulement comprise et acceptée, mais plus encore lorsque nous aide à la réaliser !

La qualité de notre environnement dépend en directement des comportements que nous, humains, adoptons5. Il apparaît donc primordial de pouvoir identifier quels sont les mécanismes psychologiques qui entrent en jeu lors de la mise en place de nouvelles actions à mener pour préserver ce qui nous entoure. L’objectif final étant de trouver les solutions les plus efficaces pour promouvoir les comportements écoresponsables à adopter !

Références bibliographiques
  1. Article L541-1-1 – Code de l’environnement – Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042176087.
  2. Melikoglu, M., Lin, C. S. K. & Webb, C. Analysing global food waste problem: pinpointing the facts and estimating the energy content. Central European Journal of Engineering 3, 157–164 (2013).
  3. Prout, J. M., Shepherd, K. D., McGrath, S. P., Kirk, G. J. D. & Haefele, S. M. What is a good level of soil organic matter? An index based on organic carbon to clay ratio. European Journal of Soil Science 72, 2493–2503 (2021).
  4. Bègue, L. & Desrichard, O. Traité de psychologie sociale. La science des interactions humaines. (2013).
  5. Steg, L. & Vlek, C. Encouraging pro-environmental behaviour: An integrative review and research agenda. Journal of Environmental Psychology 29, 309–317 (2009).