Des abeilles suivies à la trace !
De nombreuses études indiquent clairement que les insectes et autres petites bestioles sont de moins en moins nombreuses… Scarabées, araignées, cafards, cloportes, et bien d’autres encore : tout un ensemble de créatures à la mauvaise réputation et dont le rôle est pourtant crucial pour l’équilibre des écosystèmes. Parmi ces petits êtres, la situation des abeilles est une des plus décrite et connue, d’autant plus vis-à-vis des services qu’elles nous rendent ! Compte tenu de leur déclin, il devient alors essentiel de comprendre pourquoi elles disparaissent peu à peu…
Pourquoi les abeilles sont-elles si importantes ? Quelles sont leurs menaces ? Comment réussir à suivre de si petites créatures pour mieux comprendre leur déclin ? Que faire ensuite ? Focus sur des approches développées localement, à la frontière entre étude comportementale et véritables pratiques d’espionnage du plus connu des pollinisateurs…
Petits rappels concernant le rôle des abeilles…
Si les abeilles sont si étudiées, c’est bien entendu parce qu’elles nous rendent tous les jours d’immenses services partout sur Terre… Et ce à travers la pollinisation ! Cette dernière est d’ailleurs d’une importance vitale, tant pour les écosystèmes que pour l’agriculture. Des chercheurs.ses estiment même que près de 75% des espèces cultivées sur Terre bénéficient de la pollinisation par les insectes1, que l’on peut estimer à 215 Milliards de dollars par an, ne serait-ce que pour la production alimentaire2 ! Et l’organisme pollinisateur par excellence est bien évidemment notre chère petite abeille, ou plutôt, nos chères petites abeilles !
La plus connue de toutes est bien évidemment l’abeille productrice de miel, aussi appelée « abeille mellifère », ou de son nom scientifique Apis mellifera. Cependant, cette espèce n’est pas la seule, loin de là… Puisqu’on estime qu’il existe plus de 20 000 espèces d’abeilles à travers le monde3 ! S’il est totalement impossible de pouvoir toutes les suivre, quelques espèces à la fois emblématiques et représentatives (le bourdon terrestre ou encore l’abeille domestique par exemple) font l’objet d’études depuis plusieurs dizaines d’années, et ce partout dans le monde… Et le constat est malheureusement sans appel : les populations sont en déclin et disparaissent peu à peu. On parle d’ailleurs du Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, ou « Colony Collapse Disorder ».
Des pollinisateurs sous hautes et multiples pressions !
Alors bien entendu, les causes d’une telle disparition sont multiples, et la première explication réside dans la perte progressive de leur habitat4. Les abeilles ont besoin de fleurs appropriées au cours de l’année ainsi que de sites de reproduction et de nids/ruches peu ou pas perturbés… Ce qui est rendu complexe par l’urbanisation, par l’intensification de la construction et bien entendu par la transformation de terres naturelles en terres agricoles…
Naturellement, les abeilles sont également sujettes à de nombreuses maladies : virus, bactéries, champignons5… Des pathogènes qui se propagent particulièrement rapidement et facilement, et ce d’autant plus lors d’utilisation d’abeilles à but commerciales, celles-ci vivant en grand nombre confinées dans un petit endroit (une ruche !), facilitant les contacts, et donc la propagation des maladies…
Un autre facteur souvent mis en avant : celui du rôle des pesticides. Lorsqu’ils sont utilisés de manière appropriée, les pesticides procurent un bénéfice économique évident, mais ils entrent en conflit direct avec le bien-être des abeilles dans le contexte de l’agriculture industrielle… Il apparaît assez évident que les abeilles vivant dans la plupart des terres agricoles soient régulièrement exposées à de fortes doses de pesticides ! Chez les bourdons, il a été démontré qu’une exposition « normale » à certain pesticide pouvait réduire de jusqu’à 85% la production de nouveau-nés6. Concernant les abeilles, les études de terrain sont plus difficiles à mener, principalement à cause de la large zone de butinage des ouvrières…
En plus de ces principaux facteurs, les abeilles sont aussi confrontées à une alimentation moins variée (de par l’extension des cultures intensives et mono-spécifiques), elles sont aussi l’objet d’un commerce de plus en plus fort afin de garantir la pollinisation des cultures, elles entrent en compétition avec des espèces locales ou importées, et bien évidemment elles sont également sujettes aux aléas du changement climatique5…
Et toutes ces menaces s’additionnent les unes aux autres ! A présent, comment évaluer l’impact de ces éléments à l’échelle de l’individu (l’abeille), ou même de la colonie (la ruche) ?
Des techniques d’espionnage au service des pollinisateurs !
Une ruche contient en moyenne 30 000 individus, dont 12 000 sont des butineuses… Sachant qu’une abeille mesure en moyenne 1.2cm pour 0.1g7, comment suivre individuellement de si petits organismes ? Depuis quelques années, un tel suivi est possible à partir de capteurs placés directement sur les abeilles, des capteurs suivant la technologie RFID, pour « Radio Frequency IDentification », ou encore « Radio-identification »8. Le principe ? A partir de puces RFID (d’environ 0.1cm pour 0.003g…) placées sur les butineuses, il devient alors possible d’enregistrer à la seconde près les entrées et sorties de la ruche de ces abeilles. Une approche qui est d’ailleurs utilisée et développée à l’Université de Poitiers ! Avec à terme pour objectif de suivre les chacun des vols d’une même abeille, afin d’en retracer son comportement, et de savoir si oui ou non les butineuses reviennent à la ruche une fois parties… Et ainsi de comprendre pourquoi elles ne reviennent pas !
Des techniques d’espionnage au service des pollinisateurs !
Il a d’ores et déjà été démontré qu’environ 15% des butineuses ne reviennent pas à la ruche en temps normal. Ce nombre évolue vers 25% à 47% si on expose les butineuses à une faible dose d’insecticides9 (testé avec des néonicotinoïdes, qui sont parmi les pesticides les plus utilisés au monde). Des résultats qui seront confirmés plusieurs fois par la suite, grâce à ce type de suivi individuel10 ! Confirmant ainsi l’intérêt de cette approche afin d’améliorer la perception des risques toxicologiques que constituent certains pesticides…
Il apparaît ainsi nécessaire de poursuivre de tels suivis à l’avenir ! Même s’il ne sera jamais possible de surveiller toutes les espèces de pollinisateurs à travers le monde, suivre les plus représentatives (et économiquement les plus importantes), la volonté est de mettre en place un véritable réseau de surveillance des pollinisateurs, afin de réagir au plus vite et au mieux à leur déclin… Car une fois encore, à travers leur disparition, c’est aussi l’agriculture qui sera (et qui l’est déjà !) touchée, et c’est donc aussi notre alimentation qui est en jeu…
Références bibliographiques
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- Gallai, N., Salles, J.-M., Settele, J. & Vaissière, B. E. Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline. Ecological Economics 68, 810–821 (2009).
- Almeida, E. A. B. et al. The evolutionary history of bees in time and space. Current Biology 33, 3409-3422.e6 (2023).
- Goulson, D., Lye, G. C. & Darvill, B. Decline and conservation of bumble bees. Annu Rev Entomol 53, 191–208 (2008).
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- Whitehorn, P. R., O’Connor, S., Wackers, F. L. & Goulson, D. Neonicotinoid Pesticide Reduces Bumble Bee Colony Growth and Queen Production. Science 336, 351–352 (2012).
- Winston, M. L. The Biology of the Honey Bee: (Harvard University Press, 1991).
- Streit, S., Bock, F., Pirk, C. W. & Tautz, J. Automatic life-long monitoring of individual insect behaviour now possible. Zoology 106, 169–171 (2003).
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- Decourtye, A., Henry, M. & Desneux, N. Overhaul pesticide testing on bees. Nature 497, 188–188 (2013).