Aller au contenu

Penser le droit des pesticides pour s’en passer ?

Des évènements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents (vagues de chaleur, périodes de sécheresses, précipitations intenses, etc.), la nécessité d’adapter les périodes de récoltes à de nouvelles conditions climatiques, la prolifération d’insectes nuisibles, le développement de certaines maladies… Le secteur de l’agriculture est directement affecté par le changement climatique, avec des conséquences parfois dramatiques sur les récoltes, risquant de mettre à mal la sécurité alimentaire de l’Humanité. De nouvelles conditions auxquelles s’adapter, de nouvelles menaces à affronter également ! Ces potentiels nouveaux ennemis, les insectes ravageurs de culture ainsi que les maladies touchant les végétaux, sont un véritable fardeau pour l’agriculture à cause des pertes de rendement, mais aussi part des coûts de plus en plus élevés pour limiter et contrôler ces menaces. L’une des clés de voûte retenue par la France et l’Europe face à ces problématiques est l’usage de pesticides : ces molécules permettant de protéger les cultures face aux ravageurs.

Mais lorsque l’on parle de pesticide, de quoi parle-t-on exactement ? Quelles sont les problématiques associées à leur usage ? Que disent le droit et la législation à leur encontre ? Quels outils la loi a-t-elle pour permettre la « sortie des pesticides » ? Des questions qui sont au cœur de nombreux projets de recherche, y compris ici même à Poitiers ! Focus sur des approches développées localement et encore méconnues du grand public à travers la question du Droit à l’Environnement !

Inès Bouchema est doctorante en droit rural et en droit de l’environnement (et oui, il existe du droit pour tout !) à l’Université de Poitiers sous la direction du P. Benoît Grimonprez. Diplômée de Sciences Po Paris, elle travaille sur les instruments juridiques de la « sortie » des pesticides. Quand elle a choisi de faire sa thèse, elle voulait explorer les liens (juridiques) entre agriculture et environnement et contribuer aux réflexions sur le droit des transitions.

La liste de ses publications universitaires est accessible sur hal.

En dehors de sa thèse, Inès a cofondé Robin des droits. Une association qui vulgarise le droit de l’environnement et le rend accessible à tous les curieux ! Intéressés ? Tu peux lire ses articles ici ou suivre Robin des droits sur les réseaux sociaux (insta, facebook, linkedin).

ines.bouchema@univ-poitiers.fr

C’est quoi un pesticide ?

La première étape par laquelle doit passer le juriste dans ses travaux est celle de la définition. Cette étape du raisonnement s’appelle la qualification et elle est déterminante. Qualifier, c’est faire exister juridiquement un objet. Endroit, on peut presque dire que ce qui n’est pas défini n’existe pas ! Mais à quoi ça sert ? Poser une définition juridique permet de déterminer quelles règles de droit vont s’appliquer à un objet ou à une personne. C’est aussi une fiction, le juriste peut très bien donner des définitions juridiques qui ne reflètent pas tout à fait la réalité scientifique ou le sens des termes dans la vie quotidienne (une voiture est appelée, en droit, un véhicule terrestre à moteur…).

 Le terme « pesticide » est défini à l’échelle européenne1,2, et regroupe les produits dits « biocides » ainsi que les produits phytopharmaceutiques ou phytosanitaires.

            Lorsque l’on parle de produits biocides, le droit fait référence à des produits qui vont lutter contre des organismes nuisibles aux activités humaines. Il peut s’agir d’insecticides, de fongicides, mais aussi de produits empêchant le retour des organismes problématiques. Un répulsif à moustiques ou un produit de protection du bois contre les moisissures rentrent ainsi dans cette catégorie, et sont considérés en droit comme un pesticide !

            Les produits phytopharmaceutiques, il s’agit là de substances essentiellement tournées vers la protection de la plante (« phyto » vient du grec ancien « phytón » qui signifie « végétal »). Eux-mêmes regroupent plusieurs sous-catégories de produits aux effets divers et variés (voir le schéma). Mais l’on peut retenir que toute substance ou mélange de substances qui a une action de protection des plantes (un médicament pour les végétaux) est un produit phytosanitaire !

Ce schéma indique comment est défini un produit phytopharmaceutique vis-à-vis du droit. Une définition déjà complexe qui implique plusieurs sous-catégories de produits et d’effecteurs… (©Inès Bouchema)

Le droit des pesticides

Dénoncés autant qu’utilisés, les pesticides sont au cœur de nombreux débats et controverses… Ils sont d’une part un des acteurs majeurs de la révolution agricole3 (on parle de « Révolution Verte »)  à partir des années 1960, ce qui a permis une explosion de la productivité agricole, associée à la forte croissance de la population mondiale4. Depuis, leur position centrale dans le monde agricole moderne n’a que peu évolué…

Malgré leur rôle « essentiel pour la protection des cultures » (c’est le droit qui le dit1), les pesticides sont controversés et critiqués. La cause ? Leurs conséquences néfastes non seulement sur la santé humaine (il s’agit de facteurs aggravants lors de maladies cardiaques5,  de diabète6 ou encore d’obésité7, entre autres) mais aussi sur la santé des écosystèmes8,9 : morts d’organismes n’étant au départ pas ciblés par les pesticides (les abeilles notamment…), molécules présentes dans les rivières ou les nappes phréatiques par les eaux de ruissellement, augmentation de la résistance des ravageurs ciblés (« les antibios… Les pesticides, c’est pas automatique ! »)…

Des produits évalués et autorisés sous conditions…

Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’avant d’être mis en vente, tous les pesticides pour plantes sont évalués et autorisés afin de minimiser leurs impacts délétères. Les autorisations sont limitées dans le temps et une évaluation doit être reconduite régulièrement.

Le droit prévoit des critères très stricts pour autoriser les pesticides ! Les fabricants de pesticides doivent déjà démontrer que les produits n’ont pas d’effet nocifs sur la santé comme par exemple qu’ils ne sont pas toxiques, cancérigènes ou mutagènes ou d’effets inacceptables sur l’environnement. Dans le même temps, ils doivent également établir que leur produit est suffisamment efficace pour la protection des plantes. C’est quand même de la sécurité alimentaire dont il s’agit. Les pesticides doivent donc à la fois être efficaces tout en garantissant la protection de l’environnement et de la santé humaine !

Attention, des produits pouvant être dangereux peuvent être autorisés sans être illégaux. Mais dans ce cas, les conditions d’usage doivent s’assurer que le risque que le danger se réalise soit minime. Par exemple, si un produit est très corrosif on va obliger les agriculteurs à porter des gants ou s’il est très nuisible pour les pollinisateurs, son utilisation peut être limitée aux productions sous serre.

Souvent l’évaluation des pesticides est très critiquée. Certains pensent que les industriels ne sont pas honnêtes et ne donnent pas toutes les informations sur les dangers de leurs produits. Sur ce point, le droit les oblige à être transparents mais il n’y a pas vraiment de moyen de le vérifier. Surtout des chercheurs ont déjà montrés que les critères d’évaluation pouvaient être insuffisants10. En effet, certains impacts des pesticides sur la santé ou l’environnement sont mal, voire pas du tout évalués… Par exemple il a fallu plus de 10 ans pour qu’on définisse juridiquement les effets perturbateurs endocriniens et qu’ils soient vraiment pris en compte lors de l’évaluation des produits. Sur le plan environnemental, seuls les impacts sur certaines espèces ou écosystèmes utiles à l’Homme ou jugés dignes d’intérêt sont pris en compte. Finalement, le critère le plus important c’est l’efficacité !

(©Ayala Loisel)

… dont on veut réduire l’usage !

Suite au Grenelle de l’environnement de 2007, la France avait alors adopté le plan Ecophyto, dont l’objectif était d’utiliser deux fois moins de pesticides à l’horizon 2018. Malgré des moyens financiers importants, les objectifs de ce plan n’ont jamais été atteints et sont aujourd’hui repoussés à 2025. Pourquoi cet échec ? Une question qui touche évidemment au droit ! En effet, ces plans ne contiennent que très peu d’éléments contraignants pour faire changer nos pratiques, les mesures étant essentiellement incitatives, basées sur le volontariat… c’est ce qu’on appelle du « droit mou » ou du « droit souple ».

En réalité, sortir des pesticides demande de changer le modèle agricole. Plusieurs instruments juridiques sont à notre disposition : subventions favorisant des approches alternatives aux pesticides, taxes sur l’usage des pesticides, mise en place de contraintes supplémentaires dans leur usage, etc. Si certains sont contradictoires et ne peuvent être utilisés en même temps (taxer l’usage tout en interdisant l’usage… Difficile de taxer quelque chose qui n’est pas ou plus utilisé !), d’autres moyens peuvent s’avérer complémentaires (taxer l’usage de pesticides tout en subventionnant l’usage de stratégies de biocontrôle). Il y a donc toute une réflexion juridique à mener sur les conditions de la sortie des pesticides. Et cela tombe bien, car une réforme du droit des pesticides est actuellement en discussion au niveau européen.

Une des pistes d’action serait de remettre des techniques de production qui préviennent l’apparition des nuisibles. On parle d’Integreted Pest Management. On pourrait alors imaginer que le droit accompagne la transition vers des pratiques plus économes en pesticides en conditionnant l’usage des pesticides par l’usage préalable de techniques préventives. Qui sait, on pourrait demain envisager que l’usage des pesticides se fasse uniquement sur ordonnance ?

Une autre partie de la solution pourrait résider dans le Biocontrôle. Celui-ci consiste à utiliser des organismes, des produits également, issus de mécanismes naturels afin de protéger les cultures11. Un exemple à ces pratiques ? Utiliser des prédateurs naturels de ravageurs pour lutter contre eux… Comme l’utilisation de coccinelles afin de lutter contre les pucerons ! Problème, comme tous les autres pesticides ces solutions doivent être évaluées et autorisées. Or leur mise sur le marché parfois compliquée, puisque comme pour les pesticides, ces solutions sont évaluées principalement selon leur critère d’efficacité… Alors que leurs actions sont principalement préventives, et non pas curatives ! Un problème de cadre juridique qu’il reste encore à adapter. 

La France a encore du mal à réduire sa consommation de pesticides… Ce graphique indique comment a évolué la vente de substances actives liées aux pesticides entre 2009 (début du plan Ecophyto visant à réduire de moitié l’usage de ces substances à l’horizon 2018) et 2020. On constate que l’usage de ces substances n’a que bien peu baissé, contrairement aux objectifs fixés par Ecophyto… (©BNVD)

Changement climatique : quels enjeux pour demain ?

Les hausses de températures que va provoquer le changement climatique auront non seulement des conséquences sur les rendements de a production agricole, mais aussi sur les maladies et les ravageurs qui s’attaquent aux plantes ! Car des maladies se plaisant bien sous les Tropiques risquent fortement d’apprécier l’augmentation de la température globale sous nos latitudes… Une étude scientifique datée de 2021 indique d’ailleurs que les Etats-Unis, la Chine ainsi que l’Europe sont potentiellement menacés par l’arrivée de nouveaux pathogènes venus de régions plus tempérées12 ! De nouvelles menaces contre lesquelles il faudra lutter à l’aide de nouvelles stratégies, tout en préservant à la fois la santé humaine ainsi que la santé des écosystèmes.

Références bibliographiques
  1. Règlement n° 1107/2009 du 21/10/09 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil | AIDA. https://aida.ineris.fr/reglementation/reglement-ndeg-11072009-211009-concernant-mise-marche-produits-phytopharmaceutiques.
  2. Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE). OJ L vol. 309 (2009).
  3. Roudart, L. Nouvelles ruralités, agroécologie, souveraineté alimentaire : vers des alternatives de développement ? Introduction. Mondes en développement 182, 7–19 (2018).
  4. Venturini, T. Les trous noirs de la Révolution Verte. Décroissance & technique 3, (2007).
  5. Zago, A. M. et al. Pesticide exposure and risk of cardiovascular disease: A systematic review. Glob Public Health 1–23 (2020) doi:10.1080/17441692.2020.1808693.
  6. Evangelou, E. et al. Exposure to pesticides and diabetes: A systematic review and meta-analysis. Environ Int 91, 60–68 (2016).
  7. Cano-Sancho, G., Salmon, A. G. & La Merrill, M. A. Association between Exposure to p,p′-DDT and Its Metabolite p,p′-DDE with Obesity: Integrated Systematic Review and Meta-Analysis. Environ Health Perspect 125, 096002 (2017).
  8. Aktar, Md. W., Sengupta, D. & Chowdhury, A. Impact of pesticides use in agriculture: their benefits and hazards. Interdiscip Toxicol 2, 1–12 (2009).
  9. Sharma, A. et al. Worldwide pesticide usage and its impacts on ecosystem. SN Appl. Sci. 1, 1446 (2019).
  10. Dedieu, F. & Jouzel, J.-N. Comment ignorer ce que l’on sait ?La domestication des savoirs inconfortables sur les intoxications des agriculteurs par les pesticides. Revue française de sociologie 56, 105–133 (2015).
  11. Article L253-6 – Code rural et de la pêche maritime – Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042911985.
  12. Chaloner, T. M., Gurr, S. J. & Bebber, D. P. Plant pathogen infection risk tracks global crop yields under climate change. Nat. Clim. Chang. 11, 710–715 (2021).