Afin d’augmenter leur propagation, les virus font parfois preuve d’une redoutable inventivité évolutive. Aujourd’hui, il est question d’un virus (accompagné de son aide de camp) touchant les végétaux, capable de faire pousser des ailes aux pucerons… « La Mouche » de David Cronenberg n’est pas loin !
Connaissez-vous le virus de la mosaïque du concombre ? Cette maladie a été identifiée il y a longtemps déjà (en 1934), et se traduit par l’apparition d’une forme de « mosaïque », de tâches présentes tant sur les feuilles que potentiellement les concombres eux-mêmes… Un virus bien entendu sans danger pour Homo sapiens, mais qui peut affaiblir les plants de concombres, les déformer (feuilles comme fruits), et forcément diminuer le rendement en cas d’exploitation.
C’est seulement quelques centaines d’années plus tard que Pasteur, Roux, Thuillier ou encore Chamberlan ont pu décrire cette technique d’atténuation des germes, menant à la première vaccination d’un troupeau de mouton contre la maladie du charbon en 18814. C’est ainsi qu’on parle de vaccin aujourd’hui !
L’ARN satellite, c’est quoi ?
Il est vrai que depuis quelques mois, on entend beaucoup parler d’ARN, plus précisément d’ARN messager… Car justement, de l’ARN, il en existe bien d’autres types, qui ont bien d’autres fonctions que celle d’être « messager ». Pour faire assez simple, cet ARN dit « satellite » est nécessairement associé à un virus, dont il modère la virulence d’une part, et dont il a besoin pour lui-même se répliquer et se propager2. Un peu une forme d’aide de camp du virus en quelques sortes ! Point important, un ARN satellite donné est nécessairement spécifique de son virus associé… Ainsi, plusieurs virus ne peuvent partager un même ARN satellite.
L’ARN Y-satellite (Y-sat pour les intimes) a été découvert pour la première fois au Japon en 19813 suite à une étude de terrain (le moment où le biologiste enfile ses bottes pour patauger dans la boue… Plaisir simple). Les scientifiques ont alors remarqué que la présence de ce Y-sat induisait des tâches jaunes claires sur les feuilles des plantes infectées.
Fait notable et important, si cette découverte a été réalisée il y a 40 ans sur le terrain, il s’avère que ces symptômes peuvent toujours être potentiellement présents en cas d’infection au virus de la mosaïque du concombre… Ce qui signifie que cet Y-sat est toujours présent dans la nature et qu’il parvient ainsi à se maintenir ! Et si les pucerons y étaient pour quelque chose ?
État des lieux : Virus seul / Virus + Y-sat
Tout d’abord, quel est l’effet de Y-sat sur le virus en lui-même ? Comme évoqué plus haut, les ARNs satellites modulent/modèrent la propagation du virus auquel ils sont associés. Premier constat : lorsque l’aide de camp Y-sat est présente dans les feuilles infectées par le virus de la mosaïque du concombre, il y a près de 13 fois moins de virus présents dans les feuilles ! La présence de Y-sat réduit donc la présence du virus, et qui dit moins de virus dit potentiellement diminution de la transmission de celui-ci4… De cette observation, la logique voudrait que l’association entre Y-sat et le virus diminue la transmission du virus par les pucerons (car moins de virus en présence d’Y-sat !), associée à une disparition à terme de Y-sat dans le milieu naturel… Après tout, celui-ci ne peut se transmettre que s’il est en association avec son virus, et si cet ARN satellite diminue la présence de son virus associé (comme observé sur ces feuilles), logiquement Y-sat devrait disparaître. Or, on sait que ça n’est pas le cas, car les symptômes dus à Y-sat (couleur jaune des feuilles) sont toujours retrouvés en milieu naturel ! De ce fait, qu’en est-il de la propagation (au-delà de sa réplication qui est donc affaiblie) du virus en présence de son partenaire Y-sat ?
Eh bien celle-ci demeure relativement élevée malgré une présence moindre de virus… En effet, la transmission du virus seule est d’environ 75%, tandis qu’elle passe à 45% en cas de présence de Y-sat… Certes, la transmission est plus faible (logique, car moins de virus), mais les modèles épidémiologiques associés indiquent que le taux de 45% de transmission est largement suffisant pour la propagation du virus, et par effet d’auto-stop, de Y-sat.
Comme précisé plus haut, la transmission du virus s’effectue principalement par un vecteur insecte : le puceron. Compte tenu des observations précédentes, l’étape suivante est de se demander : à quel point les pucerons sont-ils contaminés par les virus en présence ou non de Y-sat ? Là encore une différence est observée : il y a 2,5 fois plus de virus présent dans les pucerons si ces derniers se sont nourris sur des feuilles uniquement touchées par le virus par rapport à des pucerons s’étant nourris sur des feuilles infectées par le virus associé à Y-sat…
Si on fait un premier état des lieux, le tableau ressemble à celui-ci : lorsque l’aide de camp Y-sat est présente, il y a 13 fois moins de virus dans les plantes, ce qui ne limite que faiblement la propagation du virus (passage de 75% à 45% de transmission) tout comme sa présence au sein des pucerons…
Effets du virus et du virus + Y-sat sur la santé de la plante
On l’a vu précédemment, si le concombre est infecté par le virus associé à Y-sat, on constate le jaunissement des feuilles touchées. En toute logique, on pourrait s’attendre à ce que ce jaunissement diminue l’activité de photosynthèse (rôle majeur des feuilles chez les plantes), et donc altère le fonctionnement de la plante… Est-ce vraiment le cas ?
En présence du virus seul, les plantes développent des malformations : au niveau des feuilles, de leurs fruits (concombres). Bref, divers troubles de développement affectant nécessairement sa croissance et sa survie ! D’ailleurs, ces dégâts dus à une infection sont visibles y compris au sein même des cellules de la plantes, puisqu’on observe une altération des acteurs cellulaires de la photosynthèse5 : les chloroplastes. Pour infos, les chloroplastes sont des structures en forme de disques aplatis, présents dans les cellules des plantes (et majoritairement dans les feuilles) qui sont responsables non seulement de la couleur verte si chère aux végétaux, mais aussi par conséquent de l’activité de photosynthèse de la plante6 ! Une activité qui va permettre à la plante de générer ses propres sucres et donc de se développer (pour plus d’infos sur ce processus, je vous renvoie ici et ici).
En présence du virus associé à son partenaire Y-sat, le trouble majeur visible est l’apparition de cette couleur jaune sur les feuilles touchées… Mais bien étonnamment, non seulement une feuille ainsi jaunie maintient une forte activité de photosynthèse (elle produit toujours autant de sucres) malgré les dégâts qu’elle a subi (et oui, si les feuilles sont jaunes, c’est qu’elles ont pris quelques dégâts tout de même…), mais en plus ses chloroplastes demeurent intacts7 ! Ce qui est d’ailleurs parfaitement raccord avec le maintien d’une forte activité de photosynthèse…
Ainsi, les plantes infectées par le virus associé à Y-sat poussent bien mieux que les plantes infectées uniquement par le virus ! D’ailleurs, les plantes touchées simultanément par les 2 partenaires se développent aussi bien que les plantes totalement saine (quoi que légèrement stressée par un manque d’hydratation8… Mais rien de grave !).
La présence de Y-sat semble donc, en plus de diminuer le nombre de virus dans la plante, largement atténuer les symptômes causés par son partenaire viral de la mosaïque du concombre ! Mais puisque Y-sat ne peut se propager sans son virus, pourquoi diminuer son activité ? Pourquoi le rendre moins virulent ? Eh bien peut-être que l’augmentation de la virulence du virus n’est pas la meilleure stratégie pour faciliter sa dispersion…
On l’a vu précédemment, si le concombre est infecté par le virus associé à Y-sat, on constate le jaunissement des feuilles touchées. En toute logique, on pourrait s’attendre à ce que ce jaunissement diminue l’activité de photosynthèse (rôle majeur des feuilles chez les plantes), et donc altère le fonctionnement de la plante… Est-ce vraiment le cas ?
En présence du virus seul, les plantes développent des malformations : au niveau des feuilles, de leurs fruits (concombres). Bref, divers troubles de développement affectant nécessairement sa croissance et sa survie ! D’ailleurs, ces dégâts dus à une infection sont visibles y compris au sein même des cellules de la plantes, puisqu’on observe une altération des acteurs cellulaires de la photosynthèse5 : les chloroplastes. Pour infos, les chloroplastes sont des structures en forme de disques aplatis, présents dans les cellules des plantes (et majoritairement dans les feuilles) qui sont responsables non seulement de la couleur verte si chère aux végétaux, mais aussi par conséquent de l’activité de photosynthèse de la plante6 ! Une activité qui va permettre à la plante de générer ses propres sucres et donc de se développer (pour plus d’infos sur ce processus, je vous renvoie ici et ici).
En présence du virus associé à son partenaire Y-sat, le trouble majeur visible est l’apparition de cette couleur jaune sur les feuilles touchées… Mais bien étonnamment, non seulement une feuille ainsi jaunie maintient une forte activité de photosynthèse (elle produit toujours autant de sucres) malgré les dégâts qu’elle a subi (et oui, si les feuilles sont jaunes, c’est qu’elles ont pris quelques dégâts tout de même…), mais en plus ses chloroplastes demeurent intacts7 ! Ce qui est d’ailleurs parfaitement raccord avec le maintien d’une forte activité de photosynthèse…
Ainsi, les plantes infectées par le virus associé à Y-sat poussent bien mieux que les plantes infectées uniquement par le virus ! D’ailleurs, les plantes touchées simultanément par les 2 partenaires se développent aussi bien que les plantes totalement saine (quoi que légèrement stressée par un manque d’hydratation8… Mais rien de grave !).
La présence de Y-sat semble donc, en plus de diminuer le nombre de virus dans la plante, largement atténuer les symptômes causés par son partenaire viral de la mosaïque du concombre ! Mais puisque Y-sat ne peut se propager sans son virus, pourquoi diminuer son activité ? Pourquoi le rendre moins virulent ? Eh bien peut-être que l’augmentation de la virulence du virus n’est pas la meilleure stratégie pour faciliter sa dispersion…
Et les pucerons rouges à forme ailée dans tout ça ?
Car finalement, c’est bien de cette première observation que les scientifiques ont débuté leurs investigations : il y a significativement plus de pucerons rouges ailés sur les feuilles jaunes infectées par Y-sat que celles touchées uniquement par le virus… Pour information, il semblerait que la forme rouge des pucerons leur soit avantageuse pour leur éviter d’être touché par des prédateurs parasitoïdes9 ! Ces derniers ayant pour effet de nécessairement tuer l’hôte dans lequel ils se sont développés…
Si l’on se place à la position du virus et/ou de son partenaire Y-sat : puisqu’il s’agit d’éléments ayant pour hôte des plantes (qui de fait, ne bougent pas…), attirer des vecteurs insectes pour faciliter sa transmission semble être une stratégie particulièrement intéressante ! Or, il s’avère que les scientifiques savaient déjà que les feuilles jaunes semblaient être plus attractives pour les pucerons que les feuilles vertes10… Par conséquent, puisque l’un des effets de Y-sat est de provoquer la couleur jaune des feuilles, on s’attendrait en toute logique que les pucerons ailés soient bien plus présents sur les feuilles infectées par le virus et Y-sat que sur les feuilles uniquement touchées par le virus… Et sans surprise, ce fut le cas ! Ainsi, les chercheurs ont pu démontrer que les pucerons étaient significativement plus attirés par les feuilles qui portaient Y-sat en plus du virus ! Et c’est bien la présence de Y-sat et uniquement de Y-sat qui est responsable d’une telle attraction : les scientifiques sont parvenus à produire des plants de concombres qui étaient capables de produire Y-sat sans la présence de son virus (oui, il s’agit bien de plantes transgéniques), et les pucerons ailés semblaient bien plus attirés par ces plantes en question que par des plantes saines…
La couleur jaune provoquée par la présence d’Y-sat semble être une excellente stratégie pour attirer jusqu’à eux des pucerons ailés ! Et donc une excellente stratégie pour cet auto-stoppeur de profiter d’un véhicule pouvant le conduire sur de plus longues distances ! Mais au-delà de l’attraction provoquée par Y-sat, il est possible que son action aille en réalité bien plus loin encore…
Y-sat provoque le développement des ailes chez les pucerons !
Pour savoir si Y-sat pouvait avoir une influence directe sur la formation des ailes chez les pucerons, les scientifiques se sont déjà concentrés sur les connaissances disponibles dans la littérature en gardant cette question en tête : quels sont les gènes impliqués dans le développement des ailes de puceron ? Deux gènes sont ressortis comme principaux suspects de leurs investigations : (i) Apsn1 (dont l’origine est virale d’ailleurs11) qui s’exprime au début du développement du puceron, déclenchant la formation des ailes, et dont l’activité décroît dans le temps ; et ABCG412 qui lui s’exprime à la fin du développement du puceron contrôlant la formation des ailes.
Comment s’expriment donc ces gènes en présence ou non du virus ou de Y-sat ? Dans un premier cas (i), le gène Apsn1 est surexprimé chez le puceron lorsqu’il se nourrit sur une plante qui présente soit le virus, soit le virus associé à Y-sat ; par rapport à une plante saine. Cependant, et la nuance est particulièrement importante : si le puceron se nourrit sur une plante touchée seulement par le virus, l’expression du gène Apsn1 va diminuer avec le temps, tandis que si le puceron se nourrit sur une plante touchée à la fois par le virus et par Y-sat, l’expression de ce gène va demeurer élevée au cours du temps… Dans un second cas (ii), l’expression du gène ABCG4 est significativement plus élevée chez les pucerons se nourrissant de plantes infectées par le virus et son aide de camps (plutôt que chez les individus se nourrissant sur des plantes saines, ou uniquement touchées par le virus).
Il semblerait que la présence de Y-sat ait quoi qu’il en soit un impact fort sur ces gènes, et donc sur la formations des ailes chez les pucerons ! Non seulement il permet d’attirer davantage les pucerons ailés pour faciliter sa propagation, mais il provoque aussi directement leur développement au détriment des pucerons sans aile… Ce petit passager clandestin, cette aide de camp du virus apparaît donc comme étant un allié de choix pour propager son partenaire viral obligatoire. Une forme de coopération égoïste finalement : Y-sat aide le virus à se propager, afin que Y-sat garantisse lui-même sa propre propagation ! Et comment procéder ? En manipulant des vecteurs afin de leur donner des ailes…
La Nature sélectionne parfois des mécanismes bien étranges via de multiples acteurs, aussi variés qu’interdépendants (ici virus, ARN satellite, plantes et insectes). Comme souvent, et ainsi illustré par cet exemple, la vérité est rarement aussi simple que ce que l’on pourrait intuitivement penser…
Pour ceux que l’anglais (très) technique ne rebute pas, vous pourrez retrouver l’article d’origine en accès libre à ce lien. Un article publié dans le journal Nature Communication le 6 Décembre 2021 et écrit par Wikum H. Jayasinghe, Hangil Kim, Yusuke Nakada et Chikara Masuta.
Références bibliographiques
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- Simon, A. E., Roossinck, M. J. & Havelda, Z. Plant virus satellite and defective interfering RNAs: new paradigms for a new century. Annu Rev Phytopathol 42, 415–437 (2004).
- Takanami, Y. A striking change in symptoms on cucumber mosaic virus-infected tobacco plants induced by a satellite RNA. Virology 109, 120–126 (1981).
- Gutiérrez, S. et al. Circulating virus load determines the size of bottlenecks in viral populations progressing within a host. PLoS Pathog 8, e1003009 (2012).
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- Shimura, H. et al. A Viral Satellite RNA Induces Yellow Symptoms on Tobacco by Targeting a Gene Involved in Chlorophyll Biosynthesis using the RNA Silencing Machinery. PLOS Pathogens 7, e1002021 (2011).
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- Parker, B. J. & Brisson, J. A. A Laterally Transferred Viral Gene Modifies Aphid Wing Plasticity. Current Biology 29, 2098-2103.e5 (2019).
- Shang, F. et al. The miR-9b microRNA mediates dimorphism and development of wing in aphids. PNAS 117, 8404–8409 (2020).